Les techniques du monotype

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Aux Ateliers Migrateurs, nous aimons la mixité des techniques, les détournements et les découvertes. Nous ne pratiquons pas uniquement la gravure. Cet article ne se veut pas exhaustif, nous vous proposons une approche de quelques méthodes courantes employées pour réaliser un monotype, ainsi qu’un historique de la technique. Crée pour nos stagiaires et pour vous, visiteurs de notre site, nous espérons que cet article vous sera utile.

Rappel pour ceux qui ne connaissent pas :

monotype – le principe :

Le monotype est un procédé d’estampe, il s’agit d’impression sans gravure qui consiste à dessiner à l’encre sur une plaque pour en tirer une épreuve unique. On peut essayer d’obtenir un second tirage beaucoup plus pâle, pour par exemple le rehausser au pastel, comme Degas… (on s’y intéresse à juste titre, il en a réalisé 400).

Edgar Degas, monotype rehaussé au pastel (plaque)

monotype – en pratique :

Couvrir de peinture à séchage lent (encre taille douce ou typo, peinture à l’huile) une surface lisse, telle que métal, verre ou plexiglass. Travailler les zones des couleurs au rouleau d’encrage, au chiffon et au pinceau. Dégager le blanc à l’aide d’un chiffon, peaufiner par exemple avec un coton tige pour les détails. On peut superposer plusieurs tirages, une plaque par couleur. On peut dessiner au dos de la feuille posée sur la plaque. On peut rendre l’encre plus transparente. On peut… à vous de jouer !
L’image sort à l’envers – en miroir.

palette
cette palette des encrages bleus de l’atelier enfants est comme un graffiti

aux Ateliers Migrateurs nous utilisons trois techniques de monotype

Le monotype par retrait

Dans la technique de monotype par retrait, après un encrage assez épais, on enlève l’encre encore fraîche à l’aide d’un chiffon, d’un bambou, d’un manche de pinceau, coton-tige ou par tout autre moyen. On obtient ainsi du blanc, que l’on peut combler avec une autre couleur, soit sur la même plaque, ou lors d’un autre passage.
Le tirage peut se faire sous presse, à l’aide d’un baren, du dos d’une cuillère. s’il reste suffisamment d’encre, on peut tenter un autre tirage, on peut également retravailler la plaque, en gardant un peu la trame et l’idée du dessin précédent.
Magda Moraczewska, monotype par retrait

le monotype par transfert

Le transfert permet de décalquer un motif, par exemple un dessin ou une photo, en lui donnant l’aspect original qui se rapproche d’un vernis mou. On encre la plaque., mais on n’y dessine pas, on y place une feuille de papier, et c’est sur la feuille que l’on dessine. L’encre se dépose aux endroits où le crayon est passé en laissant un tracé plus ou moins marqué suivant la force avec laquelle on appuie.
Magda Moraczewska – monotype par transfert

le monotype gravure

Il s’agit d’un tirage « mal essuyé » d’une gravure en taille douce (eau forte, pointe sèche ou autre…). Nous procédons à l’encrage comme d’habitude, mais nous nous arrêtons avant d’essuyer au propre et pouvons moduler les effets grâce à la tarlatane et un essuyage partiel, y compris au doigt ou au coton-tige. Cette technique permet d’avoir une base gravée et en créer des variantes.


Magda Moraczewska – monotype / gravure

astuce 1

Lorsque vous travaillez par transfert, ne déposez pas trop d’encre sur votre plaque, cela vous permettra d’avoir un rendu plus propre. Dessinez au crayon ou au bic, en essayant de toucher le moins possible votre feuille, au risque de lasser s’imprimer des traces de vos doigts.

astuce 2

Lorsque vous souhaitez travailler d’après modèle, vous pouvez utiliser en guise de plaque un matériau transparent, c’est utile du moins pour commencer le report. Au fur et à mesure que l’encre s’accumule, on cesse de voir le modèle créant des effet de hasard éventuels, à vous de tester… N’oubliez pas qu’une plaque de verre ne passe pas sous presse.

William Blake – monotype avec retouches au pinceau et au crayon, 1794

un peu d’histoire :

Le monotype a été inventé en Italie vers 1648 par un peintre et graveur génois, Giovanni Benedetto Castiglione, dit il Grechetto. Un peu avant, au Pays-Bas, Rembrandt van Rijn, Cornelis Pietersz Bega et Anthonis Sallaert ont également mené des expériences d’encrages et tirages uniques.
à la disparition de Castiglione le monotype est tombée dans l’oubli. Difficile à croire, mais hormis William Blake, qui pratiquait un mélange de gravure et de monotype sur carton, rehaussé au pastel, le monotype n’intéressait plus personne. Nous sommes fin 18e. Par la suite, plus rien… En plus, les travaux de monotype ne sont pas toujours nommés ainsi, on les appelle – impression, empreinte, transfert et technique mixte.

Le retour du monotype :

Un siècle passe. Le monotype fait son retour en Europe et aux États-Unis. Vers 1870, Edgar Degas, artiste en perpétuelle recherche, rencontre le vicomte Ludovic Napoléon Lepic, membre de la Société des aquafortistes, qui l’initie au monotype, mais qui reste encore très proche de la gravure : Lepic, Desboutin et Degas se réunissent chez l’éditeur Alfred Cadart et impriment leurs gravures en les encrant de manière différente à chaque tirage, au point de modifier radicalement le rendu. C’est l’époque des expérimentations, notamment des techniques photomécaniques, comme le cliché verre, le photogramme ou la photogravure. Degas travaille sur du zinc, du cuivre et sur un matériau nouveau, le celluloïd. Il réalise souvent trois tirages d’un même monotype, les rehaussant au pastel, à l’aquarelle ou la gouache. Il parle de monotype « à fond sombre », « à fond clair », « à taches de couleurs à l’huile ». Son premier monotype, Le maître de ballet, est cosigné avec Lepic qui revendique la paternité de ce processus retrouvé, processus qu’il décrit comme une « eau-forte mobile ».

source : Rosalba Dinoia, Une nouvelle lecture de Degas et le monotype au xixe siècle, Nouvelles de l’Estampe 261 | 2018

le monotype attire les post-impressionnistes et impressionnistes

Une vraie effervescence voit le jour, en Europe ou aux Etats-Unis. La technique attire, peut-être à cause de la rapidité d’exécution, de ses effets de flou et de lumière. Durant ces mêmes années, fin 19e, un intérêt similaire pour le monotype se développe en Italie avec les peintres – graveurs tels que Vittore Grubiciy de Dragon, du courant milanais des Scapigliati. Nous avons aussi Maurice Brazil Prendergast. On fait aussi le rapprochement avec le phénomène américain de « monotype-Parties » et avec les « dessins à partir de taches de café », réalisés vers 1850 dans le cercle de Wilhelm von Kaulbach avec Michael Echter et Julius Muhr, au cours de «sympathiques séances de bavardages», puis imprimé dans un album en héliogravure. [ source : Jonas Beyer, Entre dessin et estampe. Edgar Degas et la redécouverte du monotype au XIXe siècle ]Mary Cassatt, une artiste américaine de la mouvance Nabis, vivant en France, amie de Degas, se sert du monotype pour de beaux aplats de couleurs chatoyantes mais d’une certaine transparence.
Paul Gauguin fait des dessins remarquables en monotype, il y ajoute du dessin au crayon. Il l’utilise aussi comme outil de travail, pour transposer les motifs d’un support sur l’autre.
Paul Klee réalise souvent des impressions de monotypes, en dessinant au dos de ses croquis posés sur une plaque encrée uniformément pour ensuite les aquareller.

Paul Klee

Voici ce que nous pouvons lire concernant la technique de Paul Klee, nous supposons que le «transfert» dont parle l’auteure du texte, est le monotype :

Les taches noires sur la surface résultent de l’utilisation d’une technique de transfert souvent employée par Klee à cette période. Dans cette technique, un côté d’une feuille de papier était enduit d’huile noire et posé contre un support vierge. Ensuite, un dessin a été placé au-dessus de ces deux couches et ses lignes tracées avec un stylet, transfert du contour sur la feuille inférieure. Finalement, l’aquarelle a été ajoutée. (…).

Lucy Flint sur le site de Guggenheim Museum

quelques artistes utilisant le monotype :

Artistes « anciens » : Giovanni Benedetto Castiglione, Rembrandt van Rijn, Henri Matisse, Pablo Picasso, Camille Pissaro, Edgard Degas, l’Italien Antonio Mancini, l’Américain Maurice Brazil Prendergast, Paul Klee, Paul Gauguin, Mary Cassatt, Toulouse Lautrec, François Heaulmé (école de Paris),
puis dans les contemporains : Sophie Lécuyer, Mélanie Duchaussoy, Danielle Burgart, Nicole Crosswell, Talleen Hacikyan, Louise Lafaille… entre autres.

Nous publions les photos open source ou avec l’aimable autorisation des artistes.

Tout l’intérêt du monotype, à notre avis, est son infinie flexibilité et ses facettes multiples. Dans notre petite galerie d’images ci-dessous on n’en trouve pas deux pareils, chaque artiste l’adapte à son style, se l’approprie, le mixe avec ses autres modes d’expression.
La réalisation d’un monotype est techniquement facile, à vous de jouer !

Paul Klee – In the Wilderness – 1921 – 22.
Talleen Hacikyan, Tangerine Portrait I, monotype et empreinte, 2015

Si vous voulez en savoir plus sur les monotypes de Degas…
ou le livre : Entre dessin et estampe – Edgar Degas et la redécouverte du monotype au XIXe siècle, éd. Presses du Réel
Sur la technique de William Blake, en anglais
Sur Giovanni Benedetto Castiglione

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